La Princesse de Bactriane et la Déesse Bienfaitrice

Tête de princesse de Bactriane

Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre
Musée du Louvre, Département des Antiquités orientales, AO 31917 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010156089 – https://collections.louvre.fr/CGU

Statuette de Princesse de Bactriane

La statuette que vous voyez ci-dessus est appelée une princesse de Bactriane.

A. Qu’est-ce qu’une Princesse de Bactriane ?

Les statuettes représentant une Princesse de Bactriane sont un ensemble de statuettes qui sont apparues au milieu du XXᵉ siècle dans le bazar de Kaboul et chez les antiquaires.

Carte de la Bactriane avec Kaboul

Carte de la Bactriane avec Kaboul

B. D’où viennent ces statuettes ?

Elles ont été découvertes lors de fouilles clandestines dans la région de Bactriane, dans le nord de l’Afghanistan, mais aussi dans l’actuelle république du Turkménistan, du Baluchistan et dans la vallée de l’Indus.

Elles sont considérées comme faisant partie de la civilisation de l’Oxus ou BMAC (Bactro-Margian Archaeological Complex) et pourraient donc s’appeler les « dames de l’Oxus ».

II. La civilisation de l’Oxus ou BMAC

A. Quand et où s’est-elle épanouie ?

La civilisation de l’Oxus ou BMAC (Bactro-Margian Archaeological Complex) a prospéré au IIIᵉ millénaire et au début du IIᵉ millénaire avant J.C., entre 2300 et 1700 av. J.-C. Elle est contemporaine de l’âge du bronze européen.

Elle a émergé dans la région de Bactriane, dans le nord des montagnes de l’Hindu Kush en Afghanistan.

Carte de la civilisation de l'Oxus

Carte de la civilisation de l’Oxus ou BMAC

Elle s’étendait sur l’actuel Turkménistan, une partie du Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le nord de l’Afghanistan.

B. Quels sont les facteurs qui ont permis son émergence et son développement ?

Cette civilisation est née grâce à divers facteurs tels que son emplacement central dans un vaste réseau d’échange reliant l’Iran oriental, l’Indus, la Mésopotamie et la zone du Levant. Elle disposait également de ressources importantes telles que des terres agricoles fertiles, des pierres semi-précieuses, des métaux et d’autres ressources naturelles convoitées.

Réseau d'échanges de la civilisation de l'Oxus

Réseau d’échanges de la civilisation de l’Oxus ou BMAC

C. Quelles sont les caractéristiques de la civilisation de l’Oxus ou BMAC ?

La civilisation de l’Oxus se caractérise par une architecture monumentale, une complexité sociale et des artefacts culturels extrêmement distinctifs. Cela inclut une métallurgie spectaculaire, une petite statuaire, un système d’écriture indépendant basé sur des pictogrammes inscrits sur des sceaux, et une religion basée autour de divinités représentées par des pièces telles les princesses de Bactriane.

Vase de Persépolis de la civilisation de l'Oxus - détail de la femme assise

Détail de la femme assise sur le vase de Persépolis (d’après Perse : fragmentos del paraíso : Tesoros del Museo Nacional de Irán/Persia : fragments from Paradise : Treasures from the National Museum of Iran [Mexico 2007] 50)

Published in 2008Puzur-Inšušinak and the Oxus Civilization (BMAC): Reflections on Šimaški and the geo-political landscape of Iran and Central Asia in the Ur III period

Vase de Persépolis - femme en pied

Le vase en argent de Persépolis montrant la femme en pied (Institut d’anthropologie de Mexico et d’Ebrahim Khadem Bayat).

Published in 2008Puzur-Inšušinak and the Oxus Civilization (BMAC): Reflections on Šimaški and the geo-political landscape of Iran and Central Asia in the Ur III period

III. Description d’une princesse de Bactriane

A. Comment sont faites ces statuettes ? Comment les reconnaitre ?

Statuette de la Princesse de Bactriane du Musée d'Art du comté de Los Angeles

Statuette de Princesse de Bactriane – Musée d’Art du comté de Los Angeles, Public domain, via Wikimedia Commons

http://collections.lacma.org/sites/default/files/remote_images/piction/ma-3234958-O3.jpg

Elles sont fabriquées à partir d’un assemblage d’éléments composites. Elles sont démontables en plusieurs parties et sont fabriquées avec des matériaux dont les couleurs s’opposent. La stéatite ou la chlorite aux nuances vertes ou bleutées sont utilisées pour les vêtements et les coiffes ou les cheveux. Tandis que la calcite, le calcaire, le marbre ou l’albâtre de couleur claire sont employés pour les parties du corps telles que les bras, les jambes et le torse.

De petite taille, généralement comprise entre 8 et 14 cm, ces statuettes ne dépassent que rarement 18 cm comme l’une des princesses conservée au Louvre Abu Dhabi ou les 22 cm de la statuette du musée Miho près de Kyoto au Japon.

Statuette de la Princesse de Bactriane du Louvre Abu Dhabi

Princesse de Bactriane debout – Musée du Louvre Abu Dhabi

Hauteur 25,3 cm

Statuette de la Princesse de Bactriane du Musée Miho - Japon

Princesse de Bactriane du Musée Miho – Japon

Hauteur 22,5 cm

Leur posture est habituellement assise, bien que des exceptions existent telles que la statuette debout du Louvre Abu Dhabi.

Leur vêtement principal est le kaunakès, une pièce sumérienne en laine, peau de mouton ou une crinoline bouffante. Elles peuvent également porter un châle.

Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre

Princesse de Bactriane du Louvre

Louvre Museum, CC BY-SA 2.0 FR

Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre

Princesse de Bactriane du Louvre

Détail du kaunakès

Elles ont une plateforme antérieure qui soutient leurs bras et leurs mains, si elles ont été conservées. Leurs mains sont souvent fermées et posées asymétriquement.

Bactrian princess AO 31917 IMG 0236 black

La plateforme antérieure

Tête d'une Princesse de Bactriane du Louvre
Musée du Louvre, Département des Antiquités orientales, AO 31917 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010156089 – https://collections.louvre.fr/CGU
Tête d'une Princesse de Bactriane du Louvre
Musée du Louvre, Département des Antiquités orientales, AO 31917 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010156089 – https://collections.louvre.fr/CGU
Tête d'une Princesse de Bactriane du Louvre
MuseumPlus 5.1.00 422 122

Leur tête, qui peut révéler des conventions d’atelier, est dotée de cheveux enroulés, d’yeux en relief et d’oreilles ourlées. Parfois, leur encolure est incrustée de pierres précieuses et de métal.

Elles ne portent pas d’attributs, ce qui fait que leur fonction exacte demeure incertaine. Mais il existe une exception notable, une statuette gravée de perdrix et de tulipes sur son siège, qui l’identifie comme étant la grande déesse d’Asie centrale.

Elles sont rares. On ne connaît à ce jour que 70 de ces précieuses sculptures.

B. Le musée du Louvre en possède quatre

  • La première, entrée dans les collections en 1969, est la plus grande. Elle est debout.
  • La deuxième est entrée dans les collections suites d’un arrêt en douane en 1983. C’est la plus petite statuette. Elle représente une princesse assise et schématique.
  • La troisième, entrée en 2003 dans les collections, a été offerte par la Société des Amis du Louvre.
  • La quatrième est exposée au Louvre Abu Dhabi.
Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre

Princesse de Bactriane – Louvre – AO 22918 – Achat 1969

H 18,1 cm

Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre

Princesse de Bactriane – Louvre – AO 28056 – Achat après arrêt en douane 1983

H 18,1 cm

Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre

Princesse de Bactriane – Louvre – AO 31917 – Don de la Société des Amis du Louvre 2003

H 13 cm

Statuette de Princesse de Bactriane du Louvre Abu Dhabi

Princesse de Bactriane debout – Louvre Abu Dhabi

H 25,3 cm

Les quatre Princesses de Bactriane du Musée du Louvre

C. Description de la statuette offerte par les Amis du Louvre

Elle est composée de chlorite et de calcaire et mesure 13 cm de hauteur. Elle date de la fin du IIIe – début du IIe millénaire av. J.-C., vers -2000.

On peut la voir dans le département des Antiquités orientales, aile Sully, au rez-de-chaussée, salle 9. N° inventaire AO 31917. Date d’acquisition en 2003. Prix d’acquisition : 347 241 €.

La statuette est représentée en position assise, ses vêtements sont taillés dans un seul bloc. Elle porte une chemise à même le corps, avec des manches trois quarts qui s’ajustent étroitement aux formes de ses bras.

Les mains ont malheureusement disparu.

Le visage est tout aussi magnifique, avec des globes oculaires représentés en surface bombée sous la saillie arquée des sourcils. Le nez est triangulaire de face et busqué de profil, avec une incision profonde qui délimite la largeur de la bouche. Le menton est une petite saillie. Les oreilles sont saillantes sur les côtés, le pavillon est ourlé et l’entrée du conduit auditif est évoqué par un léger creusement.

La chevelure en stéatite est fixée sur la tête avec un adhésif de nature inconnue.

Elle porte également un grand manteau ou robe manteau à larges manches, sorte de housse, enfilé par l’avant et croisant ses plis à l’arrière pour presque entièrement dissimuler la robe. La matière de la robe-chemise est celle d’un tissu fin, tandis que le manteau évoque un costume traditionnel sumérien, le kaunakès, avec ses mèches laineuses stylisées par des triangles hachurés disposés en quinconce. Les manches sont très larges et descendent jusqu’à la base de la statuette en formant une sorte de triangle.

IV. Signification des statuettes représentant une princesse de Bactriane

La signification de ces statuettes représentant une Princesse de Bactriane n’a pas encore été établie avec certifude. Sont-elles des princesses de haut rang ou une représentation de la grande déesse ?

A. Sont-elles un portrait d’une dame de haut rang ?

L’une des statuettes complètes retrouvées dans un contexte archéologique précis provenait en effet d’une sépulture. De plus, la diversité des visages et des coiffures pourrait renforcer cette hypothèse.

Cependant, il est à noter qu‘aucune statuette composite masculine n’a été découverte, destinée à perpétuer l’image d’un défunt de sexe masculin. De plus, la présence de statuettes composites féminines ou de leur équivalent en terre cuite dans des tombes masculines soulève également des interrogations quant à cette attribution.

B. Sont-elles une représentation de la Grande Déesse ?

Elles ne portent pas d’attributs, ce qui rend leur fonction exacte incertaine. Mais il existe une exception notable, une statuette gravée de perdrix et de tulipes sur son siège, qui l’identifie comme étant la grande déesse d’Asie centrale.

Il est donc possible que les princesses de Bactriane représentent en réalité la grande déesse de l’Asie centrale, personnification de l’ordre de la nature et de ses forces pacifiantes. Elle est souvent représentée par des lions, des serpents ou des dragons. Elle règne sur tous les êtres, dispense l’eau bénéfique, participe au renouveau de la nature au printemps et assure la reproduction des espèces.

Cette déesse a une apparence sereine et statique, avec les mains jointes à la taille, aussi bien dans la statuaire que sur les cachets compartimentés. Elle exerce une fonction protectrice aussi bien dans le monde des morts que dans celui des vivants.

Il est alors peut-être plus approprié de désigner les princesses de Bactriane comme les divinités de l’Oxus.

V. Ces déesses ont-elles un équivalent masculin ?

Les déesses de la statuaire de l’Oxus sont connues pour leur grâce et leur divinité, mais peut-on parler d’un équivalent masculin ? Il semble que la réponse soit négative, en tout cas aucun personnage masculin n’a été découvert à un niveau de prestige équivalent. Cependant, un seul personnage masculin a été identifié qui correspond aux critères de cette statuaire : le Balafré.

Balafre Louvre

Le Balafré – Louvre – AO 21104 – Achat 1961

H 11,7 cm

On connait un nombre très limité de Balafrés (quatre exemplaires complets et trois fragmentaires) dont un est au Louvre.

Ils ont été trouvés dans la région du Fars, province d’Iran, à proximité de la ville actuelle de Chiraz.

Mais on peut douter de leur localisation originelle, car les pièces ne proviennent pas de fouilles régulières.

C’est un dragon-serpent anthropomorphe défiguré par une grande cicatrice oblique qui lui entaille la face, ce qui lui a valu le surnom de “balafré”.

Les différentes pièces démontables qui s’ajustent les unes aux autres ont les mêmes matériaux que ceux des princesses-déesses. Mais les couleurs sont inversées, le pagne est blanc et la peau, aux écailles de serpent saillantes, est d’un vert foncé.

Deux autres touches claires apparaissent dans l’œil et dans la minuscule incrustation de la lèvre inférieure. Elles sont en carbonate de calcium (fragments de coquille ?).

Sa tête est ceinte d’un serre-tête. À l’emplacement du front se trouve un petit trou, destiné à accueillir des cornes.

Le dragon maléfique serre un vase sous un bras qui renferme peut-être les eaux bienfaisantes qu’il retiendrait prisonnières.

Le Balafré incarne les forces archaïques et primitives de la nature, forces hostiles du monde souterrain qui tentent de s’opposer aux eaux souterraines et printanières qui permettent à la nature de renaître.

Il appartient au vieux fond mythologique oriental, qui va de la Mésopotamie à l’Extrême-Orient. Les dragons sont souvent représentés sous forme animale, tels que des lions, des serpents ou des rapaces.

Pour contrôler leur pouvoir, ils ne sont pas mis à mort, ils sont réduits au silence par une balafre, d’où leur nom de “balafré”, en travers de la joue droite. Deux minuscules trous percés de part et d’autre des lèvres permettent de glisser un clou qui ferme la bouche pour l’empêcher de parler.

Ainsi asservis, ces démons peuvent devenir bénéfiques malgré leur musculature développée, leur expression brutale accentuées par l’absence de cou.

Cette maîtrise est sans doute assurée par la grande déesse d’Asie centrale, qui règne au-dessus des êtres et de leurs conflits, déesse incarnée plus ou moins par ces “princesses de Bactriane”.

VI. Pour conclure

Nous voici arrivés à la fin de notre étude où nous avons exploré les mystérieuses statuettes représentant une « Princesse de Bactriane » qui datent du 3e-début du 2e millénaire avant J.C. en Asie centrale, dans l’ancienne Bactriane. Elles ont été créées par la civilisation de l’Oxus ou BMAC.

Nous avons regardé de près ces petites statuettes, assises, aux éléments composites, de matériaux de couleurs opposées (vertes pour les vêtements et claires pour les éléments du corps).

Leur étude a permis de les attribuer, vraisemblablement, à des représentations de la Grande Déesse d’Asie centrale. Cette déesse bienfaitrice, maîtresse de toutes choses, qui asservit le dragon-serpent malfaisant, maître des forces hostiles du monde souterrain et des forces primitives et archaïques de la nature. Ces dragons sont représentés avec les mêmes matériaux que les “Princesses” mais inversés, comme les contraires des “Princesses”. Les mutilations de leur visage les ont fait appeler des Balafrés.

Allez admirer ces témoins de l’art antique de la Bactriane au Louvre où des exemplaires de « Princesses » et un « Balafré » sont exposés.

Ces statuettes nous invitent aussi à explorer les mythes et les symboles de l’antique Moyen-Orient.

VII. Bibliographie

BENOIT Agnès, « Princesse de Bactriane » Louvre éditions, Somogy, Editions d’art

Princesse de Bactriane dAnes

Treasures from the Oxus: The Art and Civilization of Central Asia (English Edition)

51B97SXcqDL

The World of the Oxus Civilization 

511GY89MhhL. SX349 BO1204203200

Le livre d’Agnès Benoit sur la Princesse de Bactriane sur Babelio : Princesse de Bactriane – Agnès Benoit – Babelio

Princesse de Bactriane sur les Amis du Louvre : https://www.amisdulouvre.fr/acquisitions/princesse-bactriane

Article sur la Bactriane sur Wikipedia.org : Bactriane — Wikipédia (wikipedia.org)